Dans le paysage culturel algérien, les prises de parole ne passent jamais inaperçues. Cette fois, c’est l’écrivain Rachid Boudjedra qui a décidé de faire entendre sa voix et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’y est pas allé de main morte. À travers ses déclarations, il a vivement critiqué ses collègues écrivains Kamel Daoud et Boualem Sansal pour ce qu’il décrit comme des propos “nourris par un imaginaire colonial”. Que s’est-il passé exactement ? Pourquoi ces accusations soulèvent-elles autant de débats ? Et que faut-il en retenir ? On vous explique tout de manière claire et simple.
Qui est Rachid Boudjedra et pourquoi son opinion compte ?
Avant de plonger au cœur de la controverse, un petit rappel s’impose. Rachid Boudjedra est un écrivain et intellectuel algérien de renom. Connu pour sa plume brillante et son franc-parler, il a marqué la littérature algérienne depuis les années 60. Il a souvent pris position sur des sujets sensibles, notamment la colonisation, la religion ou encore l’identité nationale. Son opinion pèse donc lourd, surtout lorsqu’il s’en prend à d’autres figures emblématiques du monde littéraire algérien.
Des propos jugés “néocoloniaux”
Au cours d’une récente interview, Rachid Boudjedra a accusé Boualem Sansal et Kamel Daoud d’adhérer à une vision du monde “néocoloniale” en véhiculant une image négative de l’Algérie dans leurs écrits. Il leur reproche notamment de s’exprimer dans les médias occidentaux pour critiquer leur pays d’origine, une posture qu’il juge injuste et même dangereuse.
Selon lui, ces écrivains alimenteraient une perception déformée de la société algérienne, qui ne sert ni la vérité ni la solidarité nationale. Boudjedra estime que leur discours renforce certains stéréotypes coloniaux sur l’Algérie une accusation lourde de sens dans un pays encore marqué par une histoire douloureuse avec la France.
Entre critique sociale et mauvaise image
Prenons un exemple concret : Kamel Daoud est bien connu pour ses chroniques où il aborde sans détour les travers de la société algérienne, sexisme, autoritarisme, hypocrisies religieuses. Pour certains, c’est une voix de courage et de lucidité. Pour d’autres, comme Boudjedra, ces critiques publiques tombent à un mauvais moment et se font, selon lui, au détriment de l’unité nationale.

Quant à Boualem Sansal, son roman « Le village de l’Allemand » a aussi suscité de vifs débats. Il y dresse un portrait sombre de la société algérienne post-indépendance, ce que Boudjedra perçoit comme une manière de plaire à l’Occident en adoptant un regard extérieur sur son propre pays.
Littérature, liberté d’expression et patriotisme : un équilibre délicat
Ce qu’il faut retenir ici, c’est que le cœur du débat ne se limite pas à un simple désaccord littéraire. C’est une lutte de visions sur comment parler de l’Algérie aujourd’hui, et surtout pour qui. Faut-il dénoncer les problèmes internes à tout prix, quitte à donner du grain à moudre à ceux qui critiquent le pays de l’extérieur ? Ou au contraire, faut-il protéger l’image de la nation, quitte à étouffer certaines voix dissidentes ? C’est ici que les mots-clés comme liberté d’expression, responsabilité des intellectuels ou identité nationale prennent tout leur sens.
Le poids de l’histoire coloniale dans le discours littéraire
Pour mieux comprendre cette querelle, il faut également revenir sur le poids de l’histoire coloniale en Algérie. Le traumatisme de la colonisation française reste vécu comme une plaie ouverte par une grande partie de la population et des intellectuels. Toute référence à cette époque dans un contexte actuel devient donc extrêmement sensible.
Rachid Boudjedra considère que certains écrivains algériens, en axant leur discours sur les tares de la société d’aujourd’hui, font inconsciemment le jeu d’une logique coloniale : celle de montrer que l’Algérie n’a pas su “se gérer seule” après l’indépendance.

Une divergence de points de vue, pas une censure
Attention toutefois : Rachid Boudjedra, aussi sévère soit-il, ne demande pas la censure de ses confrères. Il use simplement de son droit à la critique, dans le cadre d’un débat intellectuel. Il faut le rappeler : la richesse d’un pays vient aussi de ses discussions, même (et surtout) lorsqu’elles sont émotionnellement chargées.
Les réseaux sociaux s’en mêlent
Comme souvent aujourd’hui, les déclarations de Rachid Boudjedra ont rapidement fait le tour des réseaux sociaux. Twitter, Facebook et autres plateformes sont devenues les nouveaux cafés littéraires – et les avis fusent. Entre ceux qui soutiennent Rachid Boudjedra et saluent son courage, et d’autres qui défendent la liberté des écrivains comme Daoud et Sansal, le pays semble coupé en deux camps. Cette polarisation n’est pas nouvelle en Algérie, mais elle prend ici un visage littéraire, ce qui rend le débat encore plus symbolique.