La rareté des pluies dont souffre le Royaume, n’est que l’énième casse-tête auquel doit faire face le gouvernement Akhannouch. Les tensions sociales ne faiblissent pas. Pendant ce temps, l’Algérie continue à comploter contre notre pays.“C’est du jamais-vu.” Une semaine après un voyage pour voir sa famille à Azilal, Mohamed ne revient toujours pas de ce qu’il a vu à Bin el-Ouidane, à une trentaine de kilomètres au nord de la petite ville du Moyen Atlas. Réputé pour ses eaux cristallines qui, au fil des décennies, n’ont cessé d’attirer les touristes et ont fait prospérer l’activité hôtelière dans la région, le célèbre lac de barrage a troqué ses paysages oniriques habituels contre le spectacle désolé (et désolant) de vastes étendues d’argile craquelée. Les images, pour le moins effarantes, ont fait le tour du web.
Et Mohamed a bien raison de dire que rien de comparable n’est jamais advenu à Bin el-Ouidane: au 26 janvier 2022, le taux de remplissage du barrage atteignait selon la direction générale de l’eau, qui relève du ministère de l’Équipement, 14,4%, ce qui constitue un bas historique depuis sa mise en service en novembre 1953. “La sécheresse est catastrophique cette année,” poursuit Mohamed, dans une darija teintée d’un fort accent amazigh. “A Afourer (dans la même province d’Azilal, ndlr), des gens ont vu leur bétail mourir à cause de la soif”. Descriptif qui peut malheureusement s’appliquer à bien d’autres régions du Maroc.
Pour en revenir aux barrages, les plaines du Haouz ont par exemple vu ceux de Yacoub Mansour et de Lalla Takerkoust, qui sont deux de leurs trois plus importants avec Sidi Mhammed Ben Slimane El Jazouli, descendre à des taux de remplissage respectifs de 19 et 10,7%. Dans l’Oriental, les barrages Mohammed V et Hassan II en étaient même, eux, toujours le 26 janvier 2022, à 7,7 et 9%. Et que dire du barrage d’Enjil, dans la province de Boulemane? Avec un taux de 3,3% -record national-, il n’a sans doute plus de barrage que le nom. Au total, la moyenne nationale tourne actuellement autour de 33%. Bien faible pour assurer les besoins en eau de près de 37 millions de Marocains.
“Certains bassins hydrauliques souffrent d’une importante pénurie d’eau,” reconnaissait, dans un entretien diffusé le 22 janvier 2022 par l’agence Maghreb arabe presse (MAP), le ministre de l’Équipement, Nizar Baraka.
Importante pénurie
En poste depuis le 8 octobre 2021 et l’installation du gouvernement Aziz Akhannouch, celui qui est par ailleurs secrétaire général du Parti de l’Istiqlal (PI) est sans doute actuellement aux prises avec le premier gros dossier de son mandat. Lors des négociations de la fin de l’année 2021 au parlement relatives à la loi des finances, il était parvenu à négocier une enveloppe de 2,4 milliards de dirhams (MMDH) pour le plan d’urgence 2021-2022 de son département pour les bassins hydrauliques de la Moulouya, de l’Oum Errabia et du Tensift.
Parmi les objectifs visés, la mise en place de plusieurs barrages collinaires, qui, comme il l’a confié à la MAP, “jouent un rôle important dans la lutte contre les inondations outre la garantie de l’eau pour le bétail et l’alimentation de la nappe phréatique”. Mais toujours est-il que ce n’est pas demain la veille que ces barrages pourront voir le jour. D’ici leur réalisation finale, il y a surtout une saison agricole à sauver, car en dehors de l’approvisionnement en eau potable, les barrages nationaux, à commencer justement par celui de Bin el-Ouidane, ont principalement pour vocation de ravitailler l’agriculture.
Mettre la main à la poche
Questionné lors de son passage du 19 janvier 2022 sur la télévision publique, M. Akhannouch a notamment reconnu la “problématique” de la sécheresse actuelle eu égard aux cultures céréalières, dont les performances régulièrement négatives font depuis plusieurs années du Maroc un importateur de pays comme la France, le Canada et les États-Unis, ainsi qu’aux cheptels. Il n’a pas écarté une intervention “en temps voulu” de son gouvernement. Ce qui nécessitera bien évidemment que l’État mette la main à la poche. Pour les seuls cheptels, le gouvernement Saâd Eddine El Othmani avait, à titre indicatif, mobilisé lors de la précédente grande sécheresse de 2019-2020 quelque 55 millions de dirhams (MDH), montant en lui-même dérisoire en comparaison avec les 13,5 MMDH décaissés pour combler le déficit de production en céréales.
En d’autres termes, le cabinet de M. Akhannouch devra s’attendre à avoir fort à faire, avec, en plus cette fois sur les bras, une situation de sinistrose générale due au prolongement de la pandémie de Covid-19 qui frappe le monde depuis plus de deux ans. Contribuant, bon an mal an, à 15% du produit intérieur brut (PIB), l’agriculture est, en raison de la sécheresse, promise à elle seule à un déficit de sa valeur ajoutée estimé le 18 janvier 2022 dans son budget économique prévisionnel par le Haut-Commissariat au plan (HCP) à -1,6%, mais c’est le cas aussi de nombreux autres secteurs de l’économie nationale.
On pense surtout au tourisme, qui aura sans doute du mal à se relever du dernier coup de Jarnac du gouvernement qu’a été la fermeture, à partir du 9 décembre 2021, des frontières nationales, et cela d’autant plus que lors de son intervention du lundi 24 janvier 2022 à la Chambre des représentants, le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a laissé entendre qu’il y avait encore loin d’un changement de fusil d’épaule de la part de l’Exécutif.
Perte de revenus
Mais il n’y a pas que le tourisme: une industrie exportatrice comme l’automobile, qui, à fin novembre 2021, parvenait à assurer aux pouvoirs publics des rentrées de devises de l’ordre de 75 MMDH, va sans doute éprouver le retour de bâton de la baisse de la demande européenne en voitures neuves (seulement 9,7 millions de véhicules écoulés en 2021 selon l’Association des constructeurs européens (ACEA), soit le chiffre le plus bas depuis 1990), baisse ellemême couplée à l’indisponibilité sur les marchés des semi-conducteurs, nécessaires au fonctionnement des voitures automatiques, actuellement dominantes.
La conséquence directe de tout cela, elle est avant tout sociale, dans la mesure où la conjoncture présente contribue à la disparition d’encore plus d’emplois et la perte de revenus pour les foyers marocains, déjà paupérisés à cause de la pandémie (dans une enquête datant de mars 2021 déjà, le HCP avait relevé que “dans le contexte de la crise sanitaire, l’incidence de la pauvreté s’est multipliée par près de sept à l’échelle nationale, passant de 1,7% avant cette crise à 11,7% au temps du confinement, de cinq fois en milieu rural, passant respectivement de 3,9% à 19,8%, et de quatorze fois en milieu urbain, respectivement de 0,5% à 7,1%”).
Et au surplus, ces foyers ont à faire face à une inflation que seuls les métriques du HCP passent sous silence: conséquemment à l’envolée du prix du baril de pétrole à l’international, qui dépasse désormais les 80 dollars sur lesquels tablait la loi des finances, les frais de transport sont condamnés à augmenter, et de même celui des produits de la vie courante.
Pauvreté multipliée
De fait, tous les ingrédients semblent réunis pour une déflagration sociale inédite depuis au moins quatre décennies, à moins que le gouvernement ne mette les bouchées doubles pour mettre en application le nouveau modèle de développement (NMD) et notamment son volet inclusif.
A cet égard, M. Akhannouch avait promis, au cours de la campagne pour les législatives du 8 septembre 2021 qu’il avait menée en tant que président du Rassemblement national des indépendants (RNI), de mettre sur la table 270 milliards de dirhams (MMDH) au seul titre des dépenses sociales, dont 44,7 MMDH en 2022, mais avec l’immobilisation des recettes fiscales consécutive à une croissance qu’on annonce d’ores et déjà en dents de scie -2,9% pour le HCP, 3,2% au maximum selon la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI)- ainsi que la difficulté d’emprunter de l’argent sans mettre davantage en péril les finances publiques et pour la première fois dépasser un taux d’endettement égal à plus de 100% du PIB, le moins que l’on puisse dire est que le gouvernement ne semble aucunement disposer des moyens concrets nécessaires pour mener une politique sociale ambitieuse.
Sensibilité stratégique
On peut d’ailleurs se demander si l’objectif de généraliser l’assurance maladie obligatoire (AMO) est toujours en mesure d’être atteint dès cette année 2022, comme l’ambitionne la loi des finances. Et s’il l’est, qu’en sera-t-il des autres volets du chantier de la généralisation de la protection sociale présenté le 14 avril 2021 par Mohamed Benchaâboun, alors ministre de l’Économie, devant le roi Mohammed VI au palais royal de Fès? A l’époque, le responsable avait également fait mention de la généralisation des allocations familiales et de l’indemnité pour perte d’emploi et de l’élargissement de l’assiette des adhérents aux régimes de retraite…
Enfin, il faut aussi dire que le Maroc se retrouve dans une situation où il doit affecter une partie de son budget, généralement allouée à d’autres postes, au secteur de la défense, par anticipation d’une guerre que l’Algérie semble coûte-que-coûte décidée à lui lancer de crainte apparemment de se laisser distancer par le Royaume dans les trois ans après son accord de coopération sécuritaire du 24 novembre 2021 avec Israël (ce qu’un autoproclamé “faucon” algérien avait confié au quotidien français L’Opinion dans un article publié dans son édition du 30 novembre 2021).
Pour utiliser une image biblique, on dirait simplement que cette année 2022 s’annonce potentiellement comme celle des “plaies”. Du fait de la sensibilité stratégique découlant de son emplacement au carrefour de l’Occident, du monde arabe et de l’Afrique et de ses liens privilégiés avec de nombreux pays, on peut certes imaginer que le Maroc pourra compter sur un appui ferme, notamment de l’Union européenne (UE) et des pays du Golfe, pour éviter qu’il ne se transforme en foyer de tension, mais ceci n’empêche qu’il faudra garder les doigts croisés pour que les circonstances deviennent plus clémentes, à commencer par celles du ciel…