A la tête de la sélection nationale féminine du Maroc depuis plus d’un an, Reynald Pedros, ancien coach de l’OL, se confie sur sa nouvelle aventure et ses objectifs avec les Lionnes de l’Atlas : la CAN 2022 cet été à domicile et une qualification pour la Coupe du monde 2023.
A 50 ans, celui qui a remporté deux Ligues des champions (2018, 2019) avec le club lyonnais et a été élu meilleur entraîneur de la planète (2018) s’est lancé dans un nouveau défi depuis décembre 2020 en prenant en charge une sélection africaine remplie d’ambitions.
Comment se passe cette aventure au Maroc ?
Très bien. Elle a commencé en décembre 2020 et on a commencé à travailler avec mon staff à partir de janvier 2021. Cela fait donc un peu plus d’un an que l’on bosse et tout ça se passe bien. C’est un endroit qui est assez agréable pour travailler. Il y a beaucoup de monde qui soutient le football féminin. Il y a parfois des petits moments plus compliqués que d’autres mais dans l’ensemble on est très satisfait du travail entrepris avec les joueuses, la fédération, la ligue, les clubs.
Pourquoi avoir choisi le Maroc ?
Lorsque j’ai fini l’aventure avec l’OL, je suis retourné chez Canal+ (consultant), qui est ma deuxième maison. J’ai eu un contact d’un agent français qui m’a fait part de l’opportunité de venir au Maroc pour évoquer le projet du football féminin. Je suis venu trois jours. J’ai vu les installations et j’ai discuté avec le président Fouzi Lekjaa. Sur le projet sportif, c’était évidemment très tentant mais après il y a d’autres choses qui entrent en jeu dans ma décision.
Partir d’une feuille blanche ne vous a pas freiné alors que vous aviez connu le meilleur club du monde (Lyon) ?
C’est plutôt ce qui m’a plu. L’aspect global du projet, lorsqu’il m’a été présenté, était prometteur, intéressant, ambitieux. Et c’est exactement ce qui m’a touché. A partir du moment où je sens bien la chose, j’y vais.
Vous êtes passé de club à sélection. Qu’est-ce qui diffère ?
C’est un rythme différent. Mais l’avantage, c’est que l’on vit sur place. Ce n’est pas comme si on rentrait en France et on revenait que pour les dates Fifa. Si j’ai pris une sélection, c’est aussi parce que je savais que j’aurais plus de temps pour moi. Aujourd’hui, on s’occupe aussi des jeunes (U20, U17). Mais même si tu ne travailles pas tous les jours, il faut que le temps de travail soit optimal. Ce qui est important, c’est d’avoir une liberté à côté et du temps libre.
Le Maroc a longtemps été une terre de foot masculin, il faut que ça le devienne pour le foot féminin
Où se situe le niveau du Maroc en Afrique ?
En arrivant, je ne connaissais pas vraiment le football africain et encore moins celui du football féminin africain. En grandes nations, il y a l’Afrique du Sud, le Cameroun, le Nigeria, le Ghana (que le Maroc vient de battre en amical). Ce sont des pays qui sont très souvent à la CAN (Coupe d’Afrique des nations). Maintenant, l’objectif, c’est que le Maroc atteigne ce niveau et soit régulièrement à la CAN et la Coupe du monde.
Une CAN 2022 (2-23 juillet) que vous allez d’ailleurs jouer à domicile…
C’est une très bonne chose. En Afrique, à mon sens, c’est le meilleur endroit pour bien jouer au football avec le terrain et les infrastructures. Du coup, nous sommes qualifiées d’office. On peut remercier le président de la FRMF (Fédération royale marocaine de football) d’avoir œuvré pour accueillir la CAN et nous permettre de travailler plus tranquillement et sereinement. Et quand tu veux faire progresser le foot féminin dans ton pays, la CAN, c’est fantastique. Maintenant, il faut travailler pour être prêt début juillet.
Quel est l’objectif fixé ?
Le premier objectif, c’est de se qualifier pour la Coupe du monde, ce qui sous-entend d’être demi-finalistes. Ce sera du jamais vu. Donc, il faut le faire. Après, si on est demi-finalistes, on peut tout se permettre et croire que l’on peut gagner la CAN.
Les Jeux Olympiques 2024 en France sont aussi dans un coin de votre tête ?
Il faut voir le mode de qualification, mais c’est un peu loin encore. Honnêtement, ce qui est plus présent c’est la CAN. Après la Coupe du monde, si tu y vas, tu vas entrer dans une autre dimension. On verra bien… il ne faut rien s’interdire, il faut être ambitieux. Il y a meilleur que nous et il y aura toujours meilleur que nous, c’est normal. Mais l’objectif, c’est de pérenniser le football féminin. Si on arrive à avoir l’équipe du Maroc régulièrement à la CAN et la Coupe du monde, je pense que ce sera une réussite. Et le football féminin sera beaucoup plus regardé.
Cette CAN 2022 a un double objectif du coup ? Sportif et médiatique ?
Organiser la CAN à domicile en mettant beaucoup de moyens et d’humains, c’est pour passer un palier. Tant sur le terrain qu’au niveau de l’environnement et de la popularité. Aujourd’hui, le Maroc est une terre de foot, c’est une certitude. Ça a longtemps été une terre de foot pour le foot masculin, il faut que ça le devienne pour le foot féminin. Et je suis sûr et certain que s’il y a de l’engouement, les gens vont s’intéresser et venir encourager. La reconnaissance du peuple et du public, c’est important car les joueuses sont très attachées à leur pays. Et avoir l’ouverture du tournoi avec des milliers des supporters, ce serait exceptionnel. Maintenant, je le répète, pour attirer les gens, il faut être attractif, il faut gagner.
La sélection du Maroc se compose de joueuses locales et binationales ?
L’avantage que l’on a, c’est que la grande majorité des joueuses de la sélection évoluent dans le même club (celui de l’AS FAR de Rabat). On a ensuite fait une prospection sur les joueuses binationales évoluant en Europe ou ailleurs. Quelques-unes ont refusé car elles sont encore intéressées par la France ou d’autres pays. Si on va à la Coupe du monde, peut-être qu’elles changeront d’avis. On n’a pas un énorme vivier mais on a encore quelques noms en tête. Après, l’objectif, c’est de former les joueuses au Maroc. Le niveau devrait augmenter petit à petit. Il y a aussi la Ligue des champions qui est disputée par les clubs marocains.
J’espère que l’équipe de France sera championne d’Europe
Peut-on comparer le championnat du Maroc à celui de la France ?
La comparaison est difficile. Je ne compare pas trop, c’est complètement différent et ce serait dangereux de comparer ce qui n’est pas comparable. On a une équipe de l’AS FAR qui est forte et domine dans un championnat moyen où il n’y a pas trop d’adversité, ce qu’il faut essayer de développer. Il faut que le championnat soit meilleur. Ça viendra petit à petit, j’en suis sûr.
L’équipe de France féminine disputera cet été l’Euro. La voyez-vous enfin sacrée ?
J’espère parce que c’est l’objectif. Et de toute manière, l’équipe de France ne peut pas se permettre de se dire à chaque compétition : «On a encore loupé le coche». Il n’y a pas de secret. Tu peux avoir la meilleure équipe. En phase de poules, tu t’en sors après sur les matchs à élimination directe, il faut être bon au bon moment. C’est ce que l’équipe de France n’a pas su faire ces dernières années. Mais au niveau qualitatif, c’est quand même très très bon. J’espère qu’elles seront championnes d’Europe.
Et des retrouvailles à la Coupe du monde avec la France… ça vous tenterait ?
De toute manière, j’ai envie d’y être à la Coupe du monde avec le Maroc. Alors France ou pas dans le même groupe, ce n’est pas mon obsession.
Après le Maroc, vous avez d’autres objectifs, comme l’équipe de France d’ailleurs ?
Je n’ai pas d’objectif. Et Je ne pense pas aux Bleues. Si je choisis de revenir à Canal, je serai très heureux. Si on me propose un autre projet intéressant pourquoi pas. Si ça se trouve je vais signer de nouveau au Maroc. Si on va à la Coupe du monde, je vais aller voir le président… c’est sûr ! Je ne suis pas un obsédé de l’ambition. Ce qui m’intéresse, c’est mon bien être à moi.