Depuis l’indépendance de l’Algérie, les services de renseignement français et algériens entretiennent une relation ambiguë, faite de coups tordus, d’alliances secrètes et de manipulations mutuelles. Une enquête captivante sur six décennies d’espionnage entre Paris et Alger.
France-Algérie : six décennies d’espionnage, de manipulations et de coopération secrète
Depuis plus de soixante ans, les services de renseignement français et algériens tissent une relation aussi opaque que tumultueuse. Entre échanges d’informations, infiltrations et trahisons, les deux pays ont longtemps conjugué coopération et méfiance. Une réalité qui éclaire la complexité persistante de leurs relations diplomatiques selon « lexpress« .
Une guerre de l’ombre entre barbouzes
Tout commence à la fin des années 1960, alors que la Sécurité militaire algérienne (SM) amorce un rapprochement avec les renseignements français. Mais derrière les sourires diplomatiques, la méfiance règne. Les espions algériens multiplient les opérations de surveillance sur leur diaspora en France, parfois au prix d’intimidations ou d’infiltrations. Des pratiques jugées préoccupantes par les autorités françaises, comme le montre l’affaire d’un cadre de l’association islamiste Rachad, accusé d’être en lien avec les services algériens malgré son statut de réfugié. La défiance n’est pas récente.
Dans les années 1950, le tristement célèbre « plan Bleuite », orchestré par les services français, a semé la terreur dans les rangs du FLN, causant une purge sanglante alimentée par la paranoïa des infiltrations. Dans les décennies suivantes, les services secrets se rendent coup pour coup. En 1966, un espion français est démasqué à Alger. Quelques années plus tard, un agent algérien séduit une secrétaire du Quai d’Orsay à Paris. La guerre des renseignements se joue aussi sur le terrain économique, où l’Algérie aurait, selon des archives secrètes, financé des partis politiques français via des réseaux associatifs.
Compromis, trahisons et silences complices
Malgré ces tensions, des collaborations discrètes émergent. La DST française noue des relations avec la SM, puis le DRS algérien. Au fil des années 1980, les échanges d’informations se multiplient, notamment autour de figures de l’opposition comme Ahmed Ben Bella ou sur des réseaux islamistes.
Mais cette coopération a ses zones d’ombre. L’assassinat en 1987 de l’opposant Ali Mécili à Paris, suivi de l’expulsion express de son tueur présumé vers Alger, illustre le poids de la « raison d’État ». Pendant la décennie noire algérienne des années 1990, la France ferme souvent les yeux sur les dérives du régime. La DST, jugée trop conciliante, devient l’interlocuteur privilégié d’Alger, au détriment de la DGSE, plus critique.
L’affaire du faux enlèvement de trois agents français à Alger en 1993, orchestrée pour forcer Paris à agir contre les islamistes en exil, révèle le cynisme des manipulations croisées. Les arrestations massives en France qui s’ensuivent, sur la base d’informations peu fiables, marquent un tournant. Ironie tragique : malgré cette coopération, la vague d’attentats en 1995 frappe Paris de plein fouet.
Une coopération à géométrie variable
Après les attentats de 2015 en France, le dialogue sécuritaire reprend, plus structuré. Les échanges sur les djihadistes francophones engagés en Syrie ou en Irak sont jugés utiles. Toutefois, Alger conserve ses zones d’ombre : la localisation du chef terroriste touareg Iyad Ag Ghali, pourtant suspecté de se cacher sur le sol algérien, n’a jamais été partagée avec Paris. Cette coopération fluctuante dépend largement du climat diplomatique. Ainsi, depuis le revirement de la France sur le Sahara occidental en faveur du Maroc, les canaux d’échange sont gelés.