C’est à la faveur d’une conférence-débat organisée par l’Université de Milan-Bicocca en partenariat avec la Mairie de Milan, Biblioteca di Ateneo et BookCity Milano, à la prestigieuse Palazzina Appiani portant sur « Une Algérie hybride et plurielle. La recherche de la démocratie dans les soixante ans de l’indépendance (1962-2022) » que le président du Gouvernement provisoire kabyle en exil (Anavad) et du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), Ferhat Mehenni, rend son témoignage quant aux tortures dont il a été victime de la part du régime algérien.
« Le système du FLN perdure en Algérie, il est né dans la violence et la pratique de la torture et celle-ci lui est une seconde nature », a déclaré l’homme avant de rappeler que les tortures qu’il a vécues dans les années 70, 80, sont pratiquées encore de nos jours en 2022 sur des citoyens kabyles en général et les militants du MAK en particulier.Il est important de rappeler que Ferhat Mehenni a connu 12 fois les prisons algériennes sous les dictatures de Boumediene et Chadli en tant que co-fondateur de la première Ligue algérienne des droits de l’homme, et qui vient d’être honoré hier 21 novembre 2022 par la toute dernière condamnation à la peine capitale par le régime colonial algérien, jugé par une justice inique aux ordres pour être à la tête d’un mouvement pacifique qui lutte politiquement pour le droit du peuple kabyle à son autodétermination et au recouvrement de l’indépendance de.la Kabylie. Découvrez ci-dessous la substance de son témoignage, prononcé le dimanche 20 novembre.
LA TORTURE EN ALGERIE
TÉMOIGNAGE DE FERHAT MEHENNI
La torture est l’usage de la violence sur une personne pour lui extorquer des aveux, des informations, la contraindre à commettre un acte contre sa volonté ou pour la punir pour ce qu’elle a fait…
Selon la Convention de l’ONU contre la torture, celle-ci « désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. »
C’est une survivance des temps barbares qu’affectionnent particulièrement les dictatures et les Etats voyous.
J’ai entendu parler de la torture quand j’avais six ans. En 1957, mon père était chargé de préparer à manger aux groupes de maquisards itinérants durant la guerre contre la France. La maison où ils se retrouvent, à 50 mètres de la nôtre, était réquisitionnée, et ses occupants étaient obligés de se loger ailleurs. Les propriétaires d’une autre maison mitoyenne étaient, eux aussi, obligés de la quitter. D’ailleurs, à partir de l’opération des Bérets Verts, une caserne fut installée dans ces deux maisons.
La guerre battait son plein. Mon frère, mon aîné de quatre ans, était désigné par mon père comme son garçon serveur. Il l’aidait à emmener nourriture et couverts de la maison au siège des maquisards et à ramener les vides et les restes. C’était lui qui nous racontait ce qu’il voyait chez nos convives. Un jour, il nous apprit qu’il y avait un prisonnier. Un traître, selon le langage de l’époque. Son sort fut terrible. Ce fut au fer rouge que ses tortionnaires lui ouvraient les pectoraux avant de mettre du sel sur ses vives blessures dans le but de lui faire avouer sa trahison. Qu’il avoue ou non, de toutes les façons, il allait être tué.
Une fois, les maquisards partis, c’étaient les soldats français qui prirent place dans les mêmes locaux. A leur départ, nous découvrîmes le cadavre d’un jeune homme atrocement mutilé.
Pour ce qui me concerne, j’ai été arrêté à 12 reprises. A ma première arrestation, le 30/11/1976, j’ai été emmené à la caserne de Gendarmerie, appelée Barberousse. Je n’avais pas subi de violences, ce jour-là, durant mon interrogatoire. Mais la cellule dans laquelle j’avais passé la nuit était si sale et puante que je ne pus fermer l’œil de la nuit. C’est au lendemain de ma deuxième arrestation, le 17 avril 1980 au matin, que j’ai été torturé, dans un bureau du Commissariat Central d’Alger. J’ai été confié à trois policiers dont le chef, un certain Smail, n’était là que pour poser des questions. Etais-je du FFS ou non ? C’était dans un bureau normal, du 4e ou 5 e étage. Il y avait une table, 4 ou 5 chaises en bois, et un seau avec une serpillère émergeant d’une eau sale. C’était « au cas où il viendrait à perdre connaissance » dit l’un d’entre eux. On me fit alors m’asseoir sur une chaise et on me fit passer une main sous le dossier du meuble et l’autre, au-dessus, pour me passer les menottes derrière mon dos. Ainsi, je ne pouvais pas me lever sans prendre la chaise avec moi. L’interrogatoire commença et je refusai de répondre aux questions. Les deux tortionnaires voulaient me frapper mais ils n’en avaient pas le courage, au début. Pour y parvenir, il fallait un élément déclencheur. L’un des deux m’insulta et je lui rendis son insulte. Il fut alors délivré de ses scrupules pour s’adonner à la violence sur mon corps. Après un premier passage à tabac, l’interrogatoire reprit. Je refusai de nouveau. Alors, ils recourent à une autre chaise en faisant passer mes deux jambes dans le vide qu’il y a entre le siège et le dossier puis la renversent de telle sorte que j’aie ce dernier sur mes rotules. L’un des deux hommes se mettait debout sur mes genoux et appuyait de tout son poids. La douleur était telle que je crus que mes rotules rompaient. Sur l’instant, ce dont j’eus peur ; c’était une défiguration ou une infirmité pour la vie. Je souhaitais mourir que de vivre amoché ou handicapé. Cela avait duré toute la matinée. Je ne sais si c’était deux, trois ou quatre heures. Pour moi, c’était une éternité. N’ayant rien obtenu au bout du compte, je fus remis en cellule où un policier en tenue eut pitié de moi et m’apporta une petite tasse de lait chaud.
A ma dernière arrestation en 1985, il n’y avait pas de torture sur moi. Il n’y avait même pas d’interrogatoire. J’ai été directement présenté au Juge d’instruction de la Cour de Sûreté de l’Etat à Médéa (200 km au sud d’Alger). Il avait ordonné un mandat de dépôt à la prison de Berrouaghia avec la recommandation de mise en isolement et je m’étais retrouvé au Quartier des Condamnés à mort. N’était la vigilance de mes amis qui se trouvaient dans la même prison, j’y aurais passé plusieurs jours. Après notre condamnation à trois ans de prison ferme, le 19/12/1985, j’ai été transféré à Tazoult-Lambèse où un Comité d’accueil musclé nous attendait. Ne supportant pas les coups administrés à mes codétenus, je criais pour cesser de les frapper. Ils vinrent alors en groupe vers moi et mon tour fut le plus terrible de tous. J’étais tout en sang et mon nez est fracassé depuis. A ce jour, j’ai le cartilage nasal qui sort de la chair dans mes narines.
En 1986, après notre libération suite à notre condamnation par la Cour de Sûreté de l’Etat, notre avocat principal, Me Hocine Zahouane, nous avait raconté qu’à son arrestation, après le coup d’Etat de Boumediene en 1965, il avait croisé Kasdi Merbah dans les couloirs de son lieu d’interrogatoire. Comme ils se connaissaient bien, le premier était Benbelliste et ami de Med Harbi avec lequel il gérait la revue du parti unique « Révolution Africaine », et l’autre lieutenant de Mohamed Boussouf, assassin de Abane Ramdane et second couteau de Boumediene, il lui dit : Est-ce à cela que vous en êtes réduits ? en désignant le sang qui maculait le plancher. Merbah, cynique lui répondit : « Rassure-toi, ici on ne torture pas ! D’ailleurs, tu vas le vérifier par toi-même ! » En effet, il fut aussitôt mis dans un bureau où il vécut l’enfer de la torture.
Si je raconte cela, c’est pour dire que le système du FLN est né dans la violence et la pratique de la torture et celle-ci lui est une seconde nature. Il ne peut pas s’en défaire.
Les militants du MAK arrêtés depuis juin 2021 ont tous été torturés. Ils ont tous été dénudés, frappés avec toutes sortes de moyens, aspergés d’eau glacée et électrocutés au Taser. Ils ont été suspendus par les pieds, tout nus et la plupart d’entre eux a été violée. Il y en a un qui, pour l’obliger à signer des aveux qu’il n’a jamais faits et selon lesquels ce serait le MAK qui aurait ordonné de brûler la Kabylie, les Services ont été chercher sa femme pour assister à son viol.
Le compte-rendu fait par des journaux du pouvoir algérien sur le procès de l’assassinat de Djamel Bensmail, même s’ils ont censuré les déclarations sur les tortures subies par les co-accusés durant la semaine de leurs interrogatoires, rapporte que les détenus ont tous dénoncé le fait que le contenu des procès-verbaux des interrogatoires qu’on leur attribuait n’était pas le leur, mais celui de leurs tortionnaires.
Une nouvelle plainte contre l’Algérie auprès du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU est en cours de rédaction pour toutes ces révélations devant le juge.
Ces traitements inhumains et dégradants indignent la conscience humaine et appellent des sanctions internationales, ne serait-ce que de manière symbolique