Mardi 24 août, l’Algérie a annoncé, par la voix de son ministre des affaires étrangères, Ramtane Lamamra, qu’elle rompait ses relations diplomatiques avec le Maroc. Quelles pourraient être les conséquences d’une telle décision ? Cette crise est-elle un nouvel épisode dans l’histoire tumultueuse des deux voisins ou ouvre-t-elle un front de tensions plus large ?
La chercheuse Isabelle Werenfels, de l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité (SWP) décrypte les motivations profondes qui sous-tendent cette nouvelle poussée de fièvre entre frères ennemis du Maghreb.
Plusieurs facteurs ont été avancés pour expliquer la rupture diplomatique entre l’Algérie et le Maroc. Qu’est-ce qui, selon vous, a été déterminant ?
Isabelle Werenfels Les sujets de conflit anciens sont toujours en toile de fond, à savoir la question de la souveraineté sur le Sahara occidental et la rivalité pour le leadership régional. S’y est ajoutée récemment la normalisation par le Maroc de ses relations avec Israël. Ça a été un choc pour l’Algérie qui considère que les Israéliens sont désormais à ses frontières. L’affaire Pegasus – quelque 6 000 numéros de téléphone algériens auraient été espionnés – a également accru la crainte que cette coopération israélo-marocaine se fasse contre l’Algérie.
Je pense toutefois que ces éléments, seuls, n’auraient pas provoqué la rupture. Si l’on veut comprendre pourquoi elle intervient maintenant, il faut aller au-delà de la relation bilatérale entre l’Algérie et le Maroc. Alger veut montrer à la communauté internationale, mais aussi à sa propre population, que le pays est de retour sur la scène internationale après plus d’une décennie d’absence. C’est le signal qui est envoyé.
Ce tournant diplomatique date-t-il de l’arrivée au pouvoir du président Abdelmadjid Tebboune ou est-ce lié au retour aux affaires étrangères de Ramtane Lamamra ?
Je pense que c’est fortement lié à Ramtane Lamamra : c’est un diplomate expérimenté qui sait comment communiquer avec l’étranger, comment envoyer des messages. Jusqu’ici, le Maroc était bien meilleur en termes de communication extérieure.
Il y a aussi un enjeu en interne pour le gouvernement algérien : la politique extérieure a toujours été un facteur de ralliement des Algériens autour de leurs dirigeants. Le rôle de médiation joué par l’Algérie au Mali et en Libye, ainsi que le soutien aux Palestiniens, sont une source de grande fierté. La politique étrangère est un levier sur lequel agir pour accroître une légitimité que ne confèrent plus les élections, faute de participation.