TSA – Après celui de l’industrie, le secteur des ressources en eau s’avère être un « autre nid de vipères » en Algérie. Les deux ministères sont ceux qui comptent le plus d’anciens premiers responsables poursuivis dans des affaires de corruption, en lien ou non avec leurs anciennes fonctions.
Sur les 18 ministres de Bouteflika incarcérés, 8 ont géré ces deux secteurs. Quatre des sept derniers ministres en eau qui se sont succédé entre 2004 et 2021 sont derrière les barreaux. Le dernier en date est Hocine Necib, qui a occupé le poste à deux reprises, entre septembre 2012 et mai 2015 puis entre mai 2017 et avril 2019. Il fut le dernier à gérer le secteur sous l’ancien président Abdelaziz Bouteflika. Necib a été placé sous mandat de dépôt mardi 13 juillet par un juge d’instruction du pôle pénal économique et financier pour des faits de malversation remontant à l’époque où il dirigeait le département des ressources en eau, selon l’agence officielle APS. Il n’est pas encore condamné.
Son incarcération intervient moins d’un mois après celle d’un de ses successeurs. Arezki Baraki, ministre du même secteur entre janvier 2020 et février 2021, a été placé sous mandat de dépôt le 18 juin dernier par la même juridiction. Les faits de malversation qui lui sont reprochés remontent à avant son accession au rang de ministre, précisément à la période de son passage comme directeur général de l’Agence nationale des barrages et transferts (ANBT) entre 2015 et 2021.
Un autre ancien ministre des ressources en eau est emprisonné pour des faits qu’il aurait commis alors qu’il assumait d’autres fonctions. Il s’agit de Abdelkader Ouali, poursuivi en tant qu’ancien wali de plusieurs wilayas. Il a été placé sous mandat de dépôt en novembre dernier pour octroi d’indus avantages et abus de pouvoir. Avant de diriger le département des ressources en eau entre juin 2016 et avril 2017, il a été successivement wali de Tlemcen, Alger, Sétif, Tizi-Ouzou et Batna.
Abdelouahab Nouri, ministre des Ressources en eau entre mai 2015 et juin 2016, a été cité en mai dernier parmi une liste d’anciens responsables concernés par des enquêtes qui « ne sont pas encore achevées ». Il a été aussi cité en janvier 2021 par plusieurs sources médiatiques, dont le Soir d’Algérie, comme étant impliqué dans l’affaire des frères Metidji, en sa qualité d’ancien ministre de l’Agriculture. La justice n’a pas communiqué sur son cas depuis.
Last but not least, Abdelmalek Sellal, l’homme qui est resté le plus longtemps à la tête du département (2004-2012), purge plusieurs peines de prison pour des faits remontant essentiellement à son passage comme Premier ministre pendant cinq ans (2012-2017). Sellal a été jugé et condamné à de lourdes peines dans plusieurs des grands procès anti-corruption qui ont eu lieu à partir de décembre 2019. Il est également impliqué dans l’affaire de Hocine Necib dans laquelle il a été placé sous mandat de dépôt.
Seuls deux ministres passés par le département depuis 2004 ont été épargnés par les poursuites jusqu’à présent. Il s’agit de Ali Hamam (avril 2019- janvier 2020) et Kamel Mihoubi (février 2021 – juin 2021). Ceux qui ont géré le secteur pendant le premier mandat de Bouteflika (1999-2004) n’ont été cités dans aucune affaire. Il s’agit de Salim Sadi, Aïssa Abdelaoui, Abdelmadjid Attar et Mohamed Douihasni.
Plus de 50 milliards de dollars en 20 ans
La palme était jusque-là détenue par le ministère de l’Industrie qui a vu quatre de ses anciens premiers responsables lourdement condamnés ou poursuivis. Il s’agit de Youcef Yousfi, Mahdjoub Bedda, Abdeslam Bouchouareb et Djamila Tamazirt. Les deux premiers purgent des peines de prison pour leur implication dans le dossier des usines de montage automobile. Bouchouareb, poursuivi pour les mêmes accusations, a été condamné à 20 ans de prison par contumace et demeure toujours en fuite à l’étranger.
Djamila Tamazirt, ministre de l’Industrie entre avril 2019 et janvier 2020, est en détention provisoire depuis janvier dernier, en attendant son jugement dans l’affaire du groupe Amenhyd. Si les ministres de l’Industrie incriminés n’avaient pas géré directement de gros budgets, cela n’a pas été le cas pour ceux des ressources en eau, un secteur qui a bénéficié d’investissements colossaux en infrastructures depuis 2000, pour un résultat discutable. L’incarcération d’un quatrième ministre du secteur survient alors que le pays vit une situation très tendue à cause d’une pénurie d’eau potable qui touche de nombreuses villes et régions.
Pour garantir sa sécurité hydrique, l’Algérie a pourtant énormément investi depuis le début des années 2000 dans la construction de barrages, de réseaux de transferts, de forages et de stations de dessalement d’eau de mer. C’est le même Hocine Necib qui révélait en 2017 le chiffre consacré aux investissements dans le secteur, et il est astronomique : 50 milliards de dollars. Rien que pour l’année 2018, 400 milliards de dinars avaient été dégagés pour le secteur (3 milliards de dollars au taux actuel, 3,4 milliards USD au taux de 2018).
Avec de tels montants, arriver à connaître une grave crise d’eau seulement trois ans après démontre que beaucoup de choses ne tournaient pas en rond dans le secteur. Beaucoup remettent en cause la stratégie suivie, d’autres pointent du doigt la corruption et les malversations qui entouraient l’octroi des projets. Il appartient en tout cas à la justice de trancher sur les dossiers qui se trouvent entre ses mains.